Patrick Schein, membre du conseil d´administration de l’Alliance for Responsible Mining (ARM)

 L’utilisation de matériaux recyclés constitue pour l’industrie une forme d’affirmer son engagement pour la réduction de son impact environnemental. En incorporant des matières recyclées dans leur chaîne d’approvisionnement, les fabricants peuvent revendiquer un impact réduit d’émissions de gaz à effet de serre (GES), une moindre prédation des ressources de notre planète et, dans certains cas, un produit exempt d’atteintes aux droits humains ou environnementaux.

 Depuis une dizaine d’années, l’industrie joaillière prône l’utilisation de l’or recyclé comme garantie d’une chaîne de traçabilité (CoC) responsable avec une provenance définie. Cependant, s’agit-il de la meilleure pratique? Si j’utilise exclusivement de l’or recyclé pour fabriquer mes bijoux, suis-je responsable? Essayons de répondre à ces questions.

L’offre d’or recyclé

L’or est sans doute le matériau le plus recyclé. Depuis sa découverte, seuls 2% du volume extrait a disparu. La raison de cette performance est plutôt due à sa valeur économique qu’à notre conscience environnementale. L’or concentre une telle valeur économique qu’il a toujours été recyclé et continuera à l’être.

Entre sa découverte en Thrace (région de la péninsule balkanique située entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie), il y a 6 000 ans et 2017, 190 400 tonnes d’or ont été extraites[1]. Cela signifie que les stocks d’or extraits représentent 60 ans de production minière actuelle. Sachant que 69% de cet or est très facilement recyclable, car possédé par des particuliers sous une forme  relkativement pure (or d’investissement privé: 41 300 tonnes, et bijoux: 90 200 tonnes), l’or extrait chaque année à l’heure actuelle représente un peu moins de 3% des stocks d’or recyclables facilement accessible ou proche du marché.

Face aux 2 213 tonnes d’or absorbées en 2017 pour la fabrication de bijoux, le recyclage d’or a contribué  pour 1 210 tonnes à l’offre d’or globale[1] . Cela signifie qu’aujourd’hui, en aiguillant l’offre d’or recyclé vers la fabrication de bijoux, un peu plus de la moitié de tous les bijoux du monde pourraient être fondus en or recyclé sans grand effort.

Lorsque l’on se penche sur la distribution géographique de ce recyclage de l’or, les joailliers européens et nord-américains n’auraient en fait pas besoin d’utiliser de l’or minier ou plutôt récemment extrait (n’oublions pas que tout or, même recyclé, provient de l’extraction minière. Ainsi, en 2017, en Europe, 261 tonnes d’or ont été utilisées pour la fabrication de bijoux, tandis que 326 tonnes d’or ont été recyclées. En Amérique du Nord, 83 tonnes d’or ont été utilisées par l’industrie bijoutière tandis que 86 tonnes1 étaient recyclées. Ainsi, sur ces continents, berceau des joailliers éthiques, ces «mines hors sol » que constituent l’or recyclé, pourraient couvrir tous les besoins des bijoutiers. Cela signifie que l’or recyclé ne demande aucun effort et preuve en est le faible niveau de la prime de l’or recyclé. En Europe cette prime s’élève aujourd’hui à 40 euros par kilo, alors que le prix de l’or culmine à plus de 40 000 euros. Alors, où est l’effort? Où est l’engagement? 

Les arguments des bijoutiers sur l’incorporation d’or recyclé

L’or recyclé permet aux joailliers d’affirmer qu’ils contribuent à la réduction des effets négatifs de l’extraction de l’or car ils en diminuent la demande. Cet argument est un leurre pour la simple raison que l’or c’est de l’argent ! L’or a toujours joué un rôle important dans le système monétaire international et est accepté dans le monde entier. L’or peut être converti en monnaie d’échange presque instantanément, et ce, même lorsque le système bancaire est en panne. C’est la monnaie ultime et seul le roi Midas fut capable d’en créer. Donc, l’or n’est pas extrait pour la fabrication de bijoux, de plus, comme nous l’avons vu, il existe suffisamment de stocks pour cela. L’or est extrait pour générer de la valeur, rien d’autre! L’utilisation d’or recyclé par l’industrie joaillière ne limitera aucunement l’extraction de l’or. Seules la variation du prix de l’or (qui dépend beaucoup plus de l’insécurité dans le monde que de la demande en bijoux) et l’évolution des réserves minières peuvent influer l’intensité de l’activité minière.

L’argument fort pour justifier l’utilisation d’or recyclé est généralement que son extraction est destructrice pour l’environnement et que des millions d’orpailleurs travaillent dans des conditions précaires pour des salaires de misère. Dans les mines d’or industrielles (85% de l’or extrait), l’impact environnemental est considérable. Il suffit de parcourir les rapports des principales mines d’or pour se rendre compte que l’extraction de 20 grammes d’or génère 40 tonnes de déchets miniers et plus de 520 kg de gaz à effet de serre tout en utilisant près de 8 kg de cyanure[2].

Du côté des Mines Artisanales et à Petite Échelle (MAPE) qui représentent 15% de l’or minier extrait chaque année, la question du mercure est également problématique et significative. On estime que pour un kilogramme d’or produit, 3 kilogrammes de mercure [2] sont utilisés. Ainsi, à première vue, l’or recyclé serait en effet la seule solution permettant aux bijoutiers éthiques de s‘écarter de l’image souillée de l’industrie minière. Mais, utiliser exclusivement de l’or recyclé, qui a aussi été extrait à un moment donné, est un acte assez égoïste car cela n’incite que marginalement le  secteur extractif à adopter des pratiques plus responsables.

Par ailleurs, l’or recyclé est loin d’être irréprochable. Les principaux standards et normes adoptés par l’industrie joaillière conduisent par exemple à ce que les déchets de fabrication soient considérés comme matériaux éligibles à la dénomination d’or recyclé. Or certains processus de fabrication, en particulier dans le secteur du luxe, peuvent générer plus de 50% de déchets. Cela signifie que de l’or fraîchement extrait peut être incorporé en tant qu’or recyclé quelques semaines après son extraction. Je crois fermement que la dénomination ‘Or recyclé’ devrait être limitée aux objets composés d’or recyclé provenant exclusivement de produits de consommation finale et donc exclure l’or provenant des déchets de fabrication.

La piètre image du secteur extractif aurifère devrait sans aucun doute nous encourager à appeler  au boycott de l’or minier en faveur du simple recyclage des stocks existants, qui sont déjà largement suffisants pour répondre à nos besoins. Toutefois, le secteur extractif de l’or est également un moteur de développement et offre une opportunité économique unique pour un grand nombre de personnes vulnérables.

Acheter de l’or certifié de la mine artisanale et de petite échelle responsable

L’exploitation minière se justifie dans le cas de l’extraction artisanale de l’or, car elle fait vivre environ 100 millions de personnes dans le monde alors qu’elle ne représente que 15% de la production minière. Un kilogramme de cet or permet de faire travailler 50 mineurs pendant un an tandis que, dans les mines industrielles, un ouvrier peut produire 7 kilogrammes en un an  [2] soit un ratio d’intensité sociale de 1:350 entre les deux secteurs ! Ainsi, une extraction contrôlée au plan environnemental, responsable et certifiée, à l’instar de celle garantie par le label Fairmined, offre aux joailliers un or certifié, créateur d’emplois, moteur de développement et porteur d’une histoire ainsi que d’une provenance avec une parfaite traçabilité.

 

Cet or de la MAPE certifié est un outil de développement pour des millions de personnes (rappelez-vous la ruée vers l’or de la Californie il n’y a que 150 ans) et devrait être préféré au recyclé car il est gage de bénéfices considérables pour des personnes qui en ont profondément le besoin. Cet or est certes limité en quantité pour le moment et est significativement plus cher. Ce coût supplémentaire est dû au fait qu’il garantit un prix minimum décent pour le mineur et une prime pour l’organisation minière.  Cet or demande également un effort important de la part de tous les acteurs de la chaîne de valeur pour créer une chaîne dédiée et transparente, mais aussi adapter les processus et la logistique aux volumes disponibles. Enfin il est porteur d’une origine, d’une provenance, d’une histoire et offre une parfaite traçabilité.

 Si les joailliers ne font pas l’effort d’utiliser cet or responsable et continuent à simplement incorporer de l’or recyclé comme seule solution éthique, je suis convaincu que ce choix exclusif d’or recyclé mènera à une impasse, faute d’avoir réglé le problème de l’exploitation minière, qui elle ne cessera pas.

 Utiliser que de l’or recyclé est en fait assez peu éthique car cela n’apporte ni progrès ni développement à un secteur qui ne va pas disparaître et qui nécessite le soutien du marché pour adopter des méthodes responsables. De plus, contrairement à l’or certifié de la MAPE, l’or recyclé n’est pas traçable jusqu’au point d’extraction, ce qui signifie que rien n’empêche que de l’or sale ou de l’or récemment extrait (comme pour les déchets de fabrication) puisse rapidement se transformer en or «recyclé».

 La solution pour moi: utiliser autant que possible de l’or de la MAPE et compléter les volumes manquants par de l’or recyclé. L’or recyclé est un «or neutre» qu’il est logique d’utiliser comme complément à l’or responsable extrait par la MAPE.

 Donc, oui, je suis un joaillier responsable si j’utilise de l’or recyclé à condition que je respecte les conditions suivantes:

 1- J’exclus de cet or les déchets de fabrication et 2- Je l’utilise comme un or à impact neutre une fois que j’ai incorporé dans ma chaîne d’approvisionnement un maximum d’or responsable extrait par la MAPE.

Références: 

[1] ‘GFMS GOLD SURVEY 2018’ Thomson Reuters, May 2018

[2] ‘2017 SUSTAINABILITY REPORT – BEYOND THE MINE’ Newmont Mining 2018

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Patrick Schein, Négociant et Affineur d’or

Plus d’informations: patrickschein.com/uk

Twitter: @patschein

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